Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek

19.02.2017

Chris Spaceblue - Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek
Chris Spaceblue

Qu’est-ce que le cinéma si ce n’est des photos en mouvement ? A plusieurs occasions j’ai eu le plaisir de découvrir le magnifique travail d’un photographe, Chris Spaceblue, spécialisé dans l’art Geek et la Pop Culture qui donne sa part à la science-fiction. Particulièrement impressionné par la qualité de son travail, sa manière de travailler et l’unicité de son style, je me devais de vous le faire découvrir ici, lui et ses œuvres…

DoctorSF : Bonjour Chris, une première question, peux-tu me dire ce qui caractérise ton travail ?

Chris Spaceblue : Mon objectif est plus global que le simple fait d’être photographe ou d’être catalogué artiste et j’aurais du mal à mettre les choses parfaitement dans des cases. Le but est de mettre en images une culture, un héritage à mes enfants, des choses qui m’ont marqué et d’arriver au travers de mon travail à faire passer différents éléments ou à faire rêver. J’ai envie de laisser un héritage concret. La photo pour moi est un vecteur et un moyen d’expression. J’ai longtemps cherché ma voie et j’ai choisi de m’exprimer grâce à la photographie, ne sachant ni dessiner, ni peindre. Je me sens aujourd’hui plus « artiste geek » que photographe.

Geek ?

Je suis né dans les années 80. Concrètement je suis de la génération Club Dorothée. J’ai vu l’avènement du Manga, j’ai connu l’explosion du jeu de rôles dans les années 90 donc…

Et tu aimes la science-fiction ?

Oui, tout ce qui tourne autour de l’Héroïc Fantasy, STAR WARS. J’ai aussi une grosse affection pour le Médiéval Fantastique, LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, WILLOW.

C’est vrai que cela se retrouve complètement dans tes tableaux, je pense en particulier à celui où l’on voit une fille en haut d’une montagne, une photo intitulée « Rédemption » je crois.

Oui, l’idée est tirée du jeu vidéo « Diablo 3 » et du personnage Malthael, qui est normalement un personnage masculin. Le costume porté par cette jeune fille était superbe et méritait un traitement. Autant une photo comme « Sorcery » a été prise quasi-spontanément, autant celle-ci a demandé un travail de préparation. Pour info, le modèle a trente mètres de vide derrière elle. Pour arriver à la montagne que l’on voit, on a fait quarante-cinq minutes d’escalade avec trente ou quarante kilos de matériel sur le dos. Au début on devait faire ce tableau à Carcassonne et puis j’ai changé d’avis à la dernière minute. J’ai eu envie de la faire à un endroit où j’avais été étant gamin, en Ariège au-dessus de Foix. Il a fallu faire en sorte d’arriver au moment du coucher de soleil.

REDEMPTION Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés - Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek
REDEMPTION
Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés

Toutes tes photos ont une histoire ?

Oui effectivement, j’ai des anecdotes pour chaque photo. Des photos comme « La Poupée », « La Solitude de Maya » ou « Captive » sont des photos qui ont nécessité la construction d’un décor de A à Z. Par exemple, pour « La Solitude de Maya », on a construit un bar en une semaine avec des bénévoles qui m’ont donné un coup de main. Et c’est exactement le même endroit de prise de vue que « Gunnm Wanted » qui représente des personnages de Manga sur un mur de briques, en réalité un papier peint. « Secret de cuisine » possède aussi un décor construit de toute pièce.

Ce n’est pas trop frustrant de passer autant de temps sur un décor pour tout casser après quelques photos ?

Grosso modo, la durée de vie d’un décor est d’une heure. La complexité est surtout due à la mise en scène. Sur une photo on s’est amusé à jeter des ballons, alors pour que les ballons tombent au bon endroit au bon moment il a fallu s’y reprendre à plusieurs reprises. Je ne voulais pas accrocher les ballons avec du fil de pêche. Cela aurait été invisible sur la photo. Mais je ne voulais pas faire ça parce que je voulais garder ce côté naturel et cet aspect « challenge.»

LA SOLITUDE DE MAYA Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés - Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek
LA SOLITUDE DE MAYA
Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés

C’est d’ailleurs ce qui te caractérise le plus dans ton travail, c’est de faire des photos véridiques, « temps réel », sans l’aide de Photoshop...

Photoshop intervient au strict minimum. Je fais avec Photoshop le même travail qu’on faisait à l’époque en argentique dans la chambre noire. Je développe la photo avec Photoshop, ni plus ni moins. Témoin à l’appui, je ne passe pas plus de trois minutes sur une photo. Les seules retouches que je me permets, sont ce qu’on appelle des retouches de confort : un bouton à effacer, des choses qui n’était pas prévues et qu’il faut enlever, mais les modèles ne sont pas pris sur fond vert, ils sont réellement positionnés dans un décor existant, bien réel, soit construit, soit en milieu naturel et je tiens à ce que tout soit vrai. C’est aussi une satisfaction de voir le décor prendre vie, s’animer. Tout ce qu’on a construit, devient d’un seul coup réel parce que le personnage pour lequel on l’a imaginé s’anime à l’intérieur de ce décor. Le rêve est tangible. L’imaginaire rejoint le réel et on le fige avec la photo.

Ce qui est surprenant c’est que bien que réelles, tes photos ont un air surréaliste. Peut-être que l’effet est trouvé dans la couleur, le graphisme, on sent vraiment une patte personnelle. C’est une recherche volontaire ?

Complètement. On dit toujours qu’un photographe doit trouver sa lumière et son style d’image, au même titre qu’un peintre a son coup de pinceau, qu’un dessinateur a son coup de crayon, ou qu’un écrivain a son style d’écriture. Un photographe a sa lumière. C’est du travail de positionnement des flashs, du bidouillage, c’est ne pas mettre tous les éléments sur le flash pour avoir une lumière plus saillante. Il faut jouer sur les contrastes. On ne fait que révéler le travail qui est fait en amont avec l’appareil photo et les lumières, au même titre qu’un peintre. On appelle les photographes « les peintres feignants ». Mais au final on fait la même chose, on joue avec la lumière, on joue avec les couleurs et on révèle tout ça pour que les gens puissent vivre une expérience.

MYSTIQUE Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés - Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek
MYSTIQUE
Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés

Tu emploies une belle palette de couleurs.

Oui, j’aime. Mais paradoxalement, pour mon dernier tableau j’ai voulu faire du noir et blanc. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas fait de noir et blanc. C’est mon premier amour. J’ai découvert la couleur plus tard, quand j’ai appris le portrait d’art, la photo d’art. C’est à ce moment là que j’ai appris à apprécier réellement les couleurs. Le noir et blanc argentique c’est un art à part entière. Le numérique a facilité le travail en noir et blanc. Le but de la couleur c’est aussi de sortir des sentiers battus et de proposer une vue originale, au niveau de la lumière, du grain, de l’expression des couleurs. Si c’est pour faire quelque chose d’extrêmement flashy et coloré à la Andy Warhol, non, c’est le style Andy Warhol. Si c’est pour faire des photos avec des noirs et blancs très prononcés comme pouvait le faire Capa ou comme pouvaient le faire d’autres photographes, eux le faisaient très bien. Le but est d’arriver à trouver sa propre identité lumineuse, sa propre identité visuelle.

N’est-ce pas également le choix des personnages que tu photographies qui fait ton style ? On trouve du Manga, du Walt Disney, Marvel, DC Comis, Star Wars …

Oui, ce sont des univers qui m’ont fait voyager. Je me souviens étant gamin devant la télé avec L'HISTOIRE SANS FIN, je me souviens la première fois que j’ai vu WILLOW, j’ai tremblé jusqu’au bout. J’oublierai jamais la première fois que j’ai vu un X-Wing, ça a été un choc. Gamin je voulais être pilote stellaire. Je ne suis pas né à la bonne époque ! J’ai envie de révéler tous ces éléments qui ont fait ce qu’on est aujourd‘hui.

STAR WARS est un thème qui revient assez souvent dans tes tableaux, souvent en noir et blanc d’ailleurs.

USE THE FORCE Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés - Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek
USE THE FORCE
Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés

Il y en a une, tout le monde pense qu’elle est en noir et blanc. C’est la photo avec Dark Vador dans les toilettes « Use the Force ». Elle n’est pas en noir et blanc mais en couleur. Comme nous étions dans un endroit très confiné avec du carrelage blanc partout, la lumière ne s’est pas du tout comportée comme d’habitude et on a l’impression qu’il s’agit d’un cliché en noir et blanc. Mais si on y regarde de plus près on verra qu’il s’agit d’une photo couleur. D’autres tiennent plus du comique de situation que de l’importance du décor. Souvent le noir et blanc se prête beaucoup mieux à la situation globale qu’elle représente. « Utiliser la Force pour ranger sa chambre », « Héritage de Geek » ou ma dernière création « Le Désespoir d’un père » sont des photos qui sont plus percutantes en noir et blanc.

Comment choisis-tu tes modèles ?

D’un point de vue humain. Je ne les choisis pas sur un critère physique. Pour arriver à faire une bonne photo il faut une alchimie, une certaine entente avec la personne qui pose.

Ce sont des professionnels ?

Non, ce sont des collaborations. C’est un échange artistique entre le modèle et le photographe. En général je reçois des candidatures que j’étudie et si le projet correspond à une personne je la contacte et lui demande si elle est intéressée.

La personne et son costume ?

Oui la plupart du temps. Il est aussi arrivé de trouver les costume par d’autre vecteurs, soit en les louant, soit en les achetant.

Est-ce que tu cherches à faire passer un message particulier dans tes photos ?

A vrai dire, je laisse chaque personne faire sa propre interprétation. Moi je sais ce que j’ai à dire dans mes photos, je sais quelle émotion je veux transmettre mais je ne veux pas en dicter de lecture.

Sans rien vouloir transmettre, tu peux me décrire celle-ci « A couvert » ?

Plus jeune j’étais passionné de photo journalisme et j’étais passionné par un festival d’images qui s’appelle « Visa pour l’image » qui a lieu à Perpignan chaque année. J’ai voulu allier cette technique photo très immersive à l’univers Geek. Donc j’ai pris un personnage qui est le robot du film TOTAL RECALL moderne que j’ai confronté dans une scène de guerre. Donc on a installé des décors, on a lancé des fumigènes, et on a fait toute une mise en scène avec des figurants. L’idée c’était que chaque partie de la photo puisse raconter une histoire différente. On va avoir le personnage central et ce cache utilisé autour de l’objectif pour créer ce filtre noir qu’il y a sur les extérieurs parce que le but était de plonger le spectateur dans l’action. C’est pour ça que le personnage central saisit le spectateur. Sur la partie gauche de la photo on a deux jeunes gens qui sont à couvert, protégés par une des personnes qui intervient contre le robot, une partie plus chargée en émotions. Et sur l’arrière on est vraiment sur une scène de guérilla urbaine à travers la fumée avec le robot qui tient leur camarade par le col. Selon le sens de lecture de la photo, on s’aperçoit qu’elle peut finalement raconter quelque chose de différent. Soit on est sur une volonté d’immersion et on ce concentre sur le personnage central qui est presque rassurant car il veut nous protéger, soit on emprunte un sens de lecture façon photo reportage où l’on va essayer plus de comprendre ce qu’il se passe en s’attardant sur les détails.

A COUVERT Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés - Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek
A COUVERT
Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés

As-tu une photo préférée ?

De par son histoire, de par sa lumière, « Rédemption » est sans doute une de mes préférées. C’est d’ailleurs la seule qui existe en quinze exemplaires de la collection qui regroupe quarante tableaux.

A combien d’exemplaires tires-tu tes tableaux ?

Les tirages sont limités à trente exemplaires tous formats confondus. Il n’existera pas plus de trente tirages d’une photo. C’est un des éléments qui la caractérise comme œuvre d’art.

Tu fais combien de clichés par an ?

Jusqu’à présent je faisais quasiment un tableau par mois. Cette année j’ai décidé de pousser un peu plus l’expérience ; il y en aura probablement un par trimestre. Mais je n’ai pas d’obligation, d’objectif. Quand j’ai envie d’exprimer quelque chose, je le fais en image mais ça peut être dans les trois mois ou d’une semaine sur l’autre si c’est facilement exécutable, sans mise en place de décor. J’ai une liste de projets sur lesquels je travaille qui sont en attente d’exécution.

Quel est ton film de science-fiction préféré ?

Pas un en particulier. Il y a des incontournables comme BLADE RUNNER, la trilogie STAR WARS. J’aime aussi TOTAL RECALL, JOHNNY MNEMONIC. Plus récemment j’ai adoré JUPITER : LE DESTIN DE L'UNIVERS.

BLADE RUNNER ? Ce film pourrait t’inspirer pour un prochain tableau ?

Justement, mon prochain travail est un mélange des univers du Cyber-Punk et de BLADE RUNNER. Si tout va bien, ce projet pourrait sortir cette année. Je sais exactement ce que je veux, je voudrais retrouver une ambiance de film noir et en même temps très futuriste, néo-Tokyo, surpopulation, voiture volante, etc. Bon je ne suis pas certain que ma femme me laisse construire une voiture volante dans mon garage !

SUPERMAN Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés - Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek
SUPERMAN
Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés

D’autres projets ?

Je veux transmettre un héritage culturel à mes enfants. Mon objectif final c’est de sortir un « beau livre », pouvoir me promener avec mes gosses dans une librairie et qu’ils me disent « regarde Papa, c’est ton livre ! ». C’est bien plus important que la célébrité qui ne m’intéresse pas outre mesure. Peut-être qu’ensuite je me tournerai vers d’autres domaines artistiques pour m’exprimer sur d’autres sujets, mais aujourd’hui je veux continuer à explorer la culture Geek, très proche de la Pop Culture, qui est une source inépuisable. Je n’en ai pas encore fait le tour !

Quand est-ce qu’on pourra voir cet Art Book ?

Dans le meilleur des cas en 2018, voir 2019. Je veux vraiment prendre le temps de bien faire les choses et ne pas sortir un livre à la va-vite parce qu’il faut le faire. Je souhaite qu’il soit vu et lu pour qu’il nourrisse d’autres imaginaires et qu’il perpétue cette culture dont on est tellement fiers.

ESCAPE Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés - Entretien avec Chris Spaceblue, photographe Geek
ESCAPE
Crédit photo : Chris Spaceblue - Tous droits réservés

En attendant, où est-ce qu’on peut voir ton travail ?

J’ai une expo en cours au restaurant « L’Entrepotes », à Castanet, en région toulousaine, ce qui semble original mais c’est là bas que tout a commencé pour moi. Je tenais à y revenir et j’y referai un passage régulier pour y exposer mes nouveautés. En ce moment il y a une dizaine de tableaux qui y sont présentés. J’ai aussi plusieurs projets d’expositions et de salons à venir en cours de planification. Je serai avec Hype Media sur l’évènement de l’ASFA à Amélie-les-bains près de Perpignan les 15 et 16 avril et sur la deuxième édition de Caramanga en région toulousaine les 11 et 12 mars. Hype Média est l’association qui m’accompagne depuis le début, qui m’a permis de sortir de l’anonymat et de m’épanouir dans ma démarche artistique. Elle a pour but d’aider les jeunes talents à se faire connaitre et de valoriser les projets artistiques. Je leur dois beaucoup. Je trouve dommage qu’il n’y ait pas plus d’associations comme celle-ci.

DoctorSF
16 février 2017

Pour découvrir tous les tableaux de Chris Spaceblue, rendez-vous sur son site internet
Vous pouvez également voir ses œuvres sur sa page facebook
Et sur sa page instragram