René Laloux

22.03.2007

LES MAÎTRES DU TEMPS - René Laloux
LES MAÎTRES DU TEMPS

René Laloux réalise avec Moebius LES MAITRES DU TEMPS.

Interview parue dans Pilote n°108 – mai 1983
Propos recueillis par Francis SCHALL

Après LES ESCARGOTS réalisé en 1965 et LA PLANETE SAUVAGE présenté à Cannes où il obtient le Prix Spécial du Jury en 1973, René Laloux vient de terminer LES MAÎTRES DU TEMPS en collaboration avec Moebius, Jean-Patrick Manchette et une équipe d'animateurs en grande majorité hongroise.

Perdide, une planète qui pourrait être très agréable si tous les six mois ne se réveillaient des essaims de gros frelons particulièrement meurtriers. Seul avec ces charmantes bestioles qui ont tué ses parents, un gosse : Piel. Et un micro… A l'écoute, très loin dans l'espace, Jaffar et ses compagnons vont tenter de le sauver. Mais dans le cosmos la ligne droite n'est pas le plus court chemin entre deux points, surtout quand s'en mêle, LES MAÎTRES DU TEMPS…

LA PLANETE SAUVAGE était l'adaptation d'"Oms en série", LES MAÎTRES DU TEMPS celle de "L'orphelin de Perdide", deux romans de Stefan Wul…

Stefan Wul est un des rares auteurs de science-fiction qui permette l'adaptation en dessins animés, il a de très belles idées dramatiques, et un univers propre à s'exprimer graphiquement. Et puis j'aime beaucoup Wul, je ne vois pas pour quoi je ne l'adapterais pas encore une fois…

C'est une adaptation assez libre…

J'ai gardé le thème principal du bouquin : l'enfant perdu sur une planète hostile seul avec un micro le reliant aux amis qui tentent de le sauver. Mais j'ai beaucoup transformé la seconde partie… un paradoxe temporel n'est pas chose très simple à expliquer ! J'ai supprimé aussi une longue scène que je n'aimais pas beaucoup, avec un monstre et des pirates… Et puis j'ai voulu rajouter des personnages.. C'est encore un des intérêts avec Wul, il a une belle histoire, bien structurée, pourtant dans les détails ce n'est pas très, très rigoureux, et je trouve que d'en ajouter n'est pas une grande trahison vis-à-vis de l'auteur. C'est une façon de rêver sur une oeuvre qu'on aime beaucoup. Et quelle est la meilleure façon de rêver sur une telle oeuvre si ce n'est d'apporter des idées supplémentaires… Manchette, Moebius, les animateurs l'ont fait… tout le monde en a ajouté !

Après Roland Topor, Moebius…

Je travaille avec des dessinateurs que j'admire et que j'aime ; j'avais envie de travailler avec Moebius que je connais depuis longtemps. Un grand dessinateur apporte sa vision du monde, de son univers personnel… C'est, plus amusant, plus passionnant d'avoir des aventures différentes en variant ses collaborations, de jouer un peu le rôle d'explorateur sur des planètes graphiques autres, d'apporter si possible à chaque film un style, une facture, une direction nouvelle, Je recherche pour le dessin animé des formes aussi diverses que possibles.

Un réalisateur de films d'animation c'est un peu un chef d'orchestre.

Oui, c'est à peu près cela, c'est un monsieur, qui répond aux questions de cinquante personnes et doit le faire de la façon la plus-exacte possible. Mais il doit aussi penser aux gens qui ne l'interrogent pas et chercher les questions qu'on ne lui a pas posées. Dans le premier cas, s'il répond à côté c'est une erreur qui se glisse dans le film, dans le second il risque de voir partir ses collaborateurs dans des directions qui ne correspondent plus au style du film. Le travail d'équipe, le problème du travail d'équipe c'est la transmission de l'information, il faut qu'à chaque moment tout le monde sache ce qui se fait, ce que chacun fait. C'est une structure ouverte et en même temps très liée.

L'idéal serait d'avoir un animateur par personnage.

Cela n'a malheureusement pas été toujours le cas, mais c'est effectivement la solution la plus luxueuse. Un animateur a un style, une personnalité qu'il préte à un personnage un peu comme un comédien qui joue un rôle : il porte le personnage au bout de son crayon au lieu de l'avoir dans la peau, dans ses gestes. Alors si on veut avoir une unité de comportement pour un individu dessiné, l'idéal est que ce soit le même dessinateur qui le fasse de bout en bout. Pour LES MAÎTRES DU TEMPS cela a été les grandes lignes du travail, mais pour deux ou trois personnages il y a eu plusieurs animateurs et malheureusement, là, on sent la différence…

Quelle part de liberté avez-vous laissé aux animateurs ?

Cela dépend… Certains sont de véritables créateurs, ils ont la faculté de "sentir" un personnage. Zoltan Maros, qui a dessiné Jad et Yula, les deux gnomes, les a transformés, leur a donné une vie absolument extraordinaire, en a fait de véritables petites stars graphiques ! Bon, dans ce cas là, - tout en restant évidemment dans les limites de l'histoire - on laisse une marge plus importante. Pour d'autres, il faut rester précis… en fait cela dépend des personnalités… La paresse serait de ne travailler qu'avec des génies et de leur laisser assez de liberté pour qu'ils fassent ce qu'ils, veulent (Rires !)… mais non! c'est faux ! ils partiraient dans toutes les directions !…

Jad et Yula n'apparaissent pas dans le roman…

Non, je les ai ajoutés. Ils sont issus d'un de mes phantasmes : la télépathie. Je trouve que c'est un des très beaux thèmes de la science-fiction, celui de la connaissance de l'autre, plus vraie, plus profonde… La télépathie, c'est magique ! Et, intérêt non négligeable, ils me permettaient une explication plus aisée du paradoxe temporel qui conclut l'aventure…

Ces deux gnomes sympathiques me font penser au couple de robots de LA GUERRE DES ETOILES ou de SILENT RUNNING

Humm… non, je ne ferai pas de rapport… et puis je n'aime pas beaucoup STAR WARS. Non, mais on peut parler, ce qui est important, du phénomène d'identification avec les protagonistes d'un film. Le robot est du domaine du merveilleux, du fantastique, et en cela il rejoindra, plus facilement qu'un héros trop simplement positif, les phantasmes du spectateur. On peut s'identifier à un personnage incarné par Gary Cooper ou Marilyn Monroe, mais je doute qu'on soit tenté d'en faire autant avec un être dessiné réaliste, comme le héros de Flipper City de Bakshi par exemple… Pour ma part je m'identifierais plus volontiers à Droopy de Tex Avery qu'au Prince Charmant de Blanche Neige (Rires en moustaches !). Droopy me fait plus rêver que le Prince Charmant !

La bande son est particulièrement étudiée dans LES MAÎTRES DU TEMPS…

Pour moi c'est une grande première, à plus d'un titre. D'une part, j'ai deux chansons - pas pour le commercial ! C'était dans Wul et j'étais curieux de savoir comment intégrer des chansons dans un film et, contrairement à ce que je faisais d'habitude, il y a de nombreux dialogues. Et puis la musique… Dans LA PLANETE SAUVAGE j'avais employé de la musique acoustique pour créer des ambiances, des paysages sonores. Là c'est le contraire, on a joué délibérément une sorte de rigueur et travaillé la matière électro-acoustique de façon très raffinée. Finalement il y a peu de musique véritable - le générique de début et de fin - mais surtout une recherche son que je crois nouvelle. Je ne sais comment le public réagira à ce genre de chose, mais je suis très content du travail réalisé avec les deux musiciens Zanesi et Tardy. Cela a été passionnant !

Et au niveau production…

Faire un dessin animé ce n'est pas facile, mais en France c'est tragique ! Grimault met vingt-cinq ans pour faire un film… L'argent coûte cher et en bloquer pendant un ou deux ans… les producteurs ont peur. Pourtant le dessin animé est un produit à vocation internationale en principe et généralement rentable : on trouve proportionnellement beaucoup moins d'échecs dans le D.A. que dans les films avec acteurs. Sur 180 films qui se font par an environ en France 80% sont déficitaires, alors que les longs métrages d'animation, à l'échelle mondiale, ne doivent à mon avis qu'en compter 20 à 30%… Bon, LES MAÎTRES DU TEMPS… Des difficultés, non !

Autant pour LA PLANETE SAUVAGE j'ai eu de gros problèmes en Tchécoslovaquie, autant en Hongrie tout s'est passé très agréablement avec un accueil des producteurs et de l'équipe très très agréable. Au départ c'était une tentative de production télévision, un sujet assez ambitieux envisageable uniquement en coproduction internationale : TF1, la BBC, deux chaînes allemandes et une suisse. Mais le projet était trop lourd pour les seules télévisions et nous nous sommes tournés vers les studios de production hongrois.

Vous avez donc travaillé en Tchécoslovaquie, en Hongrie… Et les USA ?

Ma politique consiste à faire ce que j'aime avec des gens que j'aime, et je ne veux faire que cela ! Sur le plan financier je n'ai pas de démarche nationaliste, c'est impossible, ce serait du suicide ! Si j'ai ce genre de démarche consciente ou non c'est sur le plan culturel. Maintenant j'irais volontiers m'exprimer à New York ou à Los Angeles si on m'en donne les moyens !

…et demain ?

Très certainement le redémarrage des "Hommes Machines". Toujours le projet avec Caza d'après le bouquin d'Andrevon. Le scénario sera peut être revu… et le tout sans doute monté aux USA…