Southland Tales

(Southland Tales)

Le 4 juillet 2005 (jour de Fête nationale, en souvenir de l’Indépendance acquise en 1776), une attaque nucléaire terroriste sur le Texas a précipité l'Amérique et la planète dans la 3e Guerre Mondiale. La conscription obligatoire est décrétée. Bien que présent sur le sol de la plupart des pays producteurs de pétrole, celui-ci n’arrive plus aux USA. Pour faire face à cette pénurie de carburant, le gouvernement accepte l’invention d’un scientifique allemand, le Baron von Westphalen, une nouvelle source d’énergie basée sur le mouvement des marrées. Devant les nombreux troubles internes au pays, le gouvernement américain laisse la compagnie US-IDent –dirigée par le sénateur Frost (par ailleurs candidat aux élections présidentielles qui approchent) et son épouse (responsable des services de sécurité)- instaurer une surveillance étroite du cyberespace : l’état totalitaire n’est pas loin...

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Mais certains (dans l’ombre) découvrent que la nouvelle technologie altère dangereusement le mouvement de rotation de la planète, provoquant une faille dans le continuum espace-temps. Cette situation a pour effet de perturber profondément les comportements humains. Parmi les existences bouleversées, celles de l'acteur Boxer Santaros, de l'ex-star du porno Krysta Now et des frères jumeaux Roland et Ronald Taverner, dont les destins entremêlés vont se confondre avec celui de l'Humanité... Ces bases posées lors d’une longue introduction, l’histoire elle-même commence. Elle se déroule pendant l’été 2008, en Californie, au cours des derniers jours de campagne pour élire celui qui deviendra le nouveau Président des USA.

Richard Kelly

En 2001, il avait mise en scène (et écrit le scénario) d'un premier long métrage très remarqué : DONNIE DARKO, devenu assez rapidement (et pour une fois à juste titre) film culte. Certains des thèmes de SOUTHLAND TALES sont déjà là, pour ne citer que le jeu avec le temps. Depuis, il n’avait donné d’autre signe de vie que le scénario de DOMINO pour Tony Scott. En fait, il planchait sur l’écriture de SOUTHLAND TALES. Son nouveau film, THE BOX (adapté d’une nouvelle de Richard Matheson, qui avait déjà inspiré LA QUATRIEME DIMENSION), n’a cessé de voir sa sortie repoussée ; aux dernières nouvelles, elle serait prévue pour le 30 octobre 2009 aux États-unis et le 04 novembre en France. Richard Kelly est un réalisateur complet (scénariste, il a aussi touché à la production, et il est à l’occasion directeur de la photo). Quoiqu'on pense de SOUTHLAND TALES, il est d’évidence –-si les gros méchants d’Hollywood ne le dévorent pas -- un des réalisateurs de demain, original, débordant d’imagination, ayant déjà posé les bases d’un univers qui lui est propre et, ce qui ne gâche rien, engagé.

La version proposée.

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Southland Tales a été présenté en Sélection Officielle en Compétition au Festival de Cannes en 2006 où il a été projeté en avant-première le 21 mai. Pour ce que j’en sais (n’étant pas à Cannes à l’époque...) c’est une copie proche de la copie de travail qui a été vue. Sony, la société distributrice, a demandé au réalisateur (sans doute à cause des critiques plus que mitigées d’alors...) de revoir le montage avant de le sortir en salles (aux États-Unis le 16 novembre 2007 et au Royaume-Uni le 7 décembre 2007). Richard Kelly a donc remonté son film ; et ceci prit plus d'une année. Quant à sa durée : la version projetée à Cannes durait 2h41, la version finale dure 2h24. Non présenté sur les écrans français, SOUTHLAND TALES sort aujourd’hui en DVD chez Wild Side Vidéo.

Concernant le découpage du film en trois chapitre

Trois cartons découpent le film : Part IV – Temptation waits / La tentation guette, Part V – Memory gospel / L’évangile de la mémoire et Part VI – Wave of mutilation / Vague de mutilation. Pour mieux comprendre ce découpage, il faut savoir que le long métrage vient en suite d’un roman graphique écrit par Richard Kelly et illustré par Brett Weldele (une BD littéraire, si vous préférez le prendre par là...) elle-même parue en trois partie (les préquels du film, en somme) nommés : Part I – Two roads diverge ; Part II – Fingerprints et Part III – The macanichals.

Références éventuelles et références assumées

S’il faut vraiment trouver des références (du côté des artistes, des créateurs), et si on tient à évoquer (comme beaucoup de critiques l’ont fait) Philip K. Dick –ce serait alors celui du « Maître du haut Château » ou des « Clans de la lune Alphane » ou de « L’œil dans le ciel » plutôt que le Dick de « Minority Report » ou de « Souvenirs à vendre » (TOTAL RECALL) ou de « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques » (BLADE RUNNER). Mais il faut plutôt chercher du côté de John Brunner et de son « Jack Baron et l’éternité » ou d’un David Lynch (celui de TWIN PEAKS, de BLUE VELVET ou de MULHOLLAND DRIVE) revisitant BRAZIL...
Mais au diable les références à trouver : nous sommes bien chez Richard Kelly...

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D’autres références pourtant sont là, revendiquées, comme signes de pistes... D’abord, dès le début du film, un autre film, que regardent sans le voir sur leur écran de télévision Krystal et Boxer, film dans le film, qui est en un sens son univers de gestation : EN QUATRIEME VITESSE / KISS ME DEADLY de Robert Aldrich (1955). Aldrich, en adaptant de manière très libre une des enquêtes de Mike Hammer, le détective créé par Mickey Spillane, décrit les années cinquante ainsi qu’il les ressent : comme un cauchemar (le Maccarthysme est là, contre lequel il a lutté durement ; mais aussi la première bombe H, américaine, qui explose le 1er novembre 1952). Kelly décrit le début du troisième millénaire, comme un mauvais rêve... -- Aldrich dépasse le fonctionnement du polar noir est bascule dans un aspect obscur du fantastique, flirtant avec la SF. Kelly dépasse les limites de la SF, construit quelque chose d’au-delà de la SF. -- La boite de Pandore de KISS ME DEADLY (citée également à plusieurs reprise dans SOUTHLAND TALES) recèle, non pas la Fortune (et le Pouvoir qui irait avec), mais la lueur « assourdissante » d’une bombe atomique qui va ravager le monde. Les multiples boites-écrans (télévisions, écrans, ordinateurs) de Kelly, avec leurs myriades d’images, font un compte à rebours vers le néant. -- Un des fils d’Arianne de KISS ME DEADLY (je préfère le titre original !) est la mémoire, la mémoire perdue au bord d’une route déserte, dans une nuit sombre (souvenez vous de ces images, qui prennent tout le fond de celles de Richard Kelly, en introduction du couple Krystal / Boxer – voir ci-dessous). Mémoire néanmoins proposée comme le flambeau dans ces ténèbres du monde, avec le « Remenber me » de Christina, la fille fugitive, qui va mourir. Boxer, dans SOUTHLAND TALES ; est amnésique ; retrouver sa mémoire serait (sera ?) savoir la fin du monde inexorable. Celle des jumeaux du temps, Roland / Ronald Taverner est dissociée ; son retour --et son contact-- serait (sera ?) la cause de l’Apocalypse...

Comme tous les grands metteurs en scène, Richard Kelly sait l’importance du cadre dans le cadre, de l’image dans l’image : avec celles de KISS ME DEADLY dès le début de son long-métrage, il annonce la couleur : le noir (c’est noir) et le blanc (de la pureté, de l’espoir, peut-être...). Et tous ces baisers mortels, jusqu'au bal fatal, final, bouche-à-bouche répétés avec la mort, qui attend...

Autre référence affirmée, le poème de T.S. Eliot « Les Hommes creux » (THE HOLLOW MEN, 1925), et en particulier sa fin, sorte de leitmotiv de calamité, annoncée définitive. Le poème qui commence par :

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Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont insanes [...]


et qui se termine ainsi :

C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
Pas sur un Boum, sur un murmure
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Ce célèbre, et magnifique, et sombre poème a déjà été indication dans des films comme APOCALYPSE NOW, où Marlon Brando/ Kurtz le lit à haute voix, enfoncé dans sa nuit, juste avant son apocalypse personnelle, et dans CONTROL de Anton Corbijn. Je cite Richard Kelly (Cannes, conférence de presse) : "Aussi, un poème a été pour moi très important : « Les hommes creux » de T. S. Eliot. Il y a cette fameuses fin : « C’est ainsi que finit le monde, C’est ainsi que finit le monde, C’est ainsi que finit le monde, Pas sur un boum mais sur un murmure ». J’ai décidé d’inverser les mots de T. S. Eliot, dans un esprit satirique, et de dire : « Pas sur un murmure, sur un boum. ». [...] Et je crois que ce poème avait une grande signification pour nous tous durant le tournage du film. Peut-être que le « murmure » dont parlait T. S. Eliot cadre plus avec ce dont parle le documentaire d’Al Gore [2], sur la façon dont l’humanité pourrait s’éteindre. « SOUTHLAND TALES » propose une vision alternative."

Et aussi cela, pour nous entraîner dans le décor : "La chute du poème [...] a été modifiée à des fins satyriques dans "SOUTHLAND TALES", une évocation comique de l'Apocalypse, simplement parce qu'il est censé se passer dans la grande Los Angeles. Là-dessus, faites-moi confiance : si la fin du monde nous pend vraiment au nez (apparemment, c'est ce que croient 59% des Chrétiens fondamentalistes américains), alors elle se produira d'abord à Los Angeles."

Ici nous entrons dans le décor : Los Angeles et Hollywood, dont les frontières enferment une civilisation du spectacle, donc du faux. Des frontières qui sont aussi ses limites, dont on ne peut plus sortir, où on tourne en rond dans des élections prétextes de démocratie, dans un terrorisme suicidaire, dans cette société que MacLuhan avait annoncé et qui a dépassé ses pires craintes... Il est aussi certain que le film est d’un contexte totalement américain, avec cascades de références américaines... GORGE PROFONDE, par exemple, étant une des plus simples... Mais la référence aux éléphants, avec l’éléphant baisant un autre éléphant sur l’écran central au début du film... ; il faut savoir que ce pachyderme est le symbole des Républicains depuis 1874 pour mieux apprécier l’effet d’annonce. Les exemples sont multiples dans le film.

Qui raconte quoi : le choix de la voix off...

Kelly tisse son intrigue avec une voix-off, à la manière des grands films noirs américains, jusqu'à CASINO de Martin Scorsese (lui-même hommage aux premiers). Pendant un temps on s’interroge sur l’origine de cette voix qui nous fait d’emblée prendre une position d’auditeur en marge, intériorisé, comme elle. Puis quand on découvre son propriétaire (Pilot Abilene, derrière son canon léger, qui prend le temps de nous poser les bases du contexte, puis quelques pistes dans le courant de l’histoire), nous sommes désorienté : qui est-il celui qui avait fait de nous ses complices de confidences ? Témoin ? Acteur du drame ? Son deus ex machina ? En fait, cette voix porte les propos d’un spectateur (comme nous), spectateur dépassé par le spectacle et qui ne le supporte qu’en le répétant (comme il répète les versets de l’Apocalypse de Jean [3] ), et en se défonçant avec une substance à relent théologique. D'emblée, une distance est prise avec les divers contextes décrit...

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Quelques éléments d’une histoire alambiquée...

Boxer Santaros (The Rock) et Krysta Now (Sarah Michelle Gellar), amants (lui est marié à la fille d’un sénateur en campagne pour le poste de président des États-unis) sont deux stars du cinéma (films d’action pour lui, porno pour elle) qui ont écrit un scénario, « The Power » (le Pouvoir). Ce scénario passent dans de nombreuses mains ; et pas que dans celles du milieu du show-biz... Parce que ce scénario, qui raconte une histoire de fin du monde, certains sont convaincus que c’est l’histoire –-à venir incessamment-- de la fin de la Terre. D'autant qu’une attaque nucléaire terroriste viens de frapper le Texas, le jour de l’anniversaire de l’Indépendance, de la fête nationale de l’année 2005. Gros feu d’artifice pour ouvrir la Troisième Guerre mondiale. Tout ceci nous est donc narré par une voix off sur des images en kaléidoscope surgies d’écrans multiples : salle d’un centre de surveillance, reportages télévisuel, ordinateurs ; des écrans eux-mêmes divisés en d’autres multiples écrans, déroulants, flash publicitaires, etc. L’histoire est complexe, mais surtout, elle parvient (à nous spectateurs et aux personnages du films) de façon surabondante et du coup très confuse...

Suite des données de l’histoire [celles et ceux qui on vu le film comprendrons l’importance de revenir sur ses données ; pour les autres, croyez-moi, ce qui précède et qui suit vous sera... miettes de pain du Petit Poucet, dans la forêt gigantesque qu’est ce film ! Enfin, je l’espère...] ...Machine de guerre en place sur tous les fronts ouverts sur la planète, mais machine de guerre qui va être à cours d’essence, sans le moindre carburant alternatif. Jusqu'à ce qu’arrive en Southland, venu de la vieille Europe (d’Allemagne, cela à son sens... von Braun ? et autres savants atomistes de Los Alamos et son Projet Manhattan, précurseurs de catastrophes nucléaires ?... je vous laisse juge), un scientifique Prix Nobel, avec un remède miracle... Jusque là, malgré ce qu’on croit voir, nous ne sommes pas en SF, mais très près de la réalité quotidienne de notre planète. C’est avec l’étranger qu’arrivent les données d’anticipation. Explications d’un des membres de l’équipe de ce Baron von Westphalen ) : "{em]Il construisit dans l’océan, face à Santa Monica Bay, une immense machine –‘’Utopia Three’’-- capable de générer un champ d’énergie hydroélectrique, le Karma Fluid."

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Nous y sommes : le rêve d'aujourd'hui : une source d’énergie infinie et non polluante ! Pourquoi pas... Grâce à "Utopia Three", un téléréseau d’énergie électrique alimente des engins à distance, de la jeep aux avions en passant par les navires de guerre ; des engins qui n’auront plus jamais besoin de carburant. Le Baron von Westphalen affirme : "L’océan est la machine à mouvement perpétuel". Tout ceci fonctionnant sur le principe de l’enchevêtrement quantique, explique un autre des membres de son équipe. Là, on se croirai au bon temps de l’Âge d’or des pulps ou du Rayon Fantastique ! Or nous sommes à peine à un quart d’heure d’un film qui dure cent trente huit minutes. C’est un des reproches qu’on pourrait adresser à Richard Kelly (mais c’est un comble !) : son imagination. Nombre de ses collègues (et pas des moindres...) auraient, à partir de chacune de ces données, développés une ou plusieurs intrigues qui auraient été au bout de leurs idées. Le problème avec Kelly, c’est que des idées il en a à foison ! Et donc, tout ceci à peine posé, on enchaîne, on passe à autre chose...

Suite de la suite de l’histoire...

Mais ce procédé miracle pose problème : voici qu’en jouant avec le flux des marées, il perturbe le rythme de rotation de la Terre (rien qu’avec ceci on tient un nouveau sujet !) ; dérangement qui influe redoutablement sur l’équilibre spatio-temporel : s’ouvre, quelque part dans le désert, une faille sur la Quatrième dimension (nouveau sujet...). « Excellent ! » ...allez-vous vous exclamer, amateur de science-fiction que vous êtes. ...Sauf qu’à ce moment du film (en gros à peine vingt minutes), vous ne savez plus où vous vous trouvez ! Largué mes frères et mes sœurs ! Kelly vous a entraîné dans sa Propre Dimension, qui se calcule à la puissance X de son imaginaire, qui est phénoménale.

Et puis parallèlement à ce contexte --disons « scientifique »-- en est un autre, politique. Car se déroule en coulisses une autre guerre, celle pour le Pouvoir (tiens... le titre du scénario de Krystal et Boxer ! Un hasard ? Bien sûr que non !). Prétextant des troubles intérieurs et en particulier un group néo-marxiste américain virulent (groupe en fait manipulé ?) les Frost d’un côté, le Baron de l’autre, veulent diriger le pays ; quelque soit leur programme, quitte à affirmer une chose et pratiquer son inverse (je n’en dirai pas plus ici pour ne pas dévoiler un des nombreux rebondissements du film). Il y aurait des pages à écrire sur cet aspect politique de SOUTHLAND TALES, celui qu’à mon goût Kelly a le mieux exploré, le mieux exploité. Souvent avec la dent très dure ! Et surgit là une autre idée –-majeure !-- la mise sous surveillance serrée de la Toile, la censure sur l'incensurable ! Malheureusement, et c’est mon principal bémol, cette idée maîtresse est complètement oubliée, jusqu'à parfois apporter des contresens dans le cours de l’histoire. Confusion ? Excès d’informations ? Labyrinthe des sujets ? Et pourtant... Si justement c’était la volonté du réalisateur ?

SOUTHLAND TALES est un cauchemar qui se greffe sur l’Amérique de Bush pour projeter sur le futur un scénario qui se place plus --du fait de sa référence à 2005-- du côté de l’uchronie plutôt que de la dystopie [4]. Car c’est bien un cauchemar (orwellien) qui se met en place, avec son armée omniprésente et à tout usage : externes et internes. Afghanistan, Irak, Iran, Syrie, Corée du Nord deviennent territoires de jeux militaires de l’Oncle Sam (avec erreur et pertes internes comptabilisés : le siège de Falloudjah est cité plusieurs fois, jusqu'à l’ultime scène du film). Et pour avoir assez de troupes pour envahir la moitié du monde, la conscription obligatoire est rétablie.

Du côté de la police (désinhibée et sacro-sainte), le patriot act et l’état d'urgence salvateur de l’ère Bush sont la règle poussé à l’extrême. La citation latine de l’empereur Domitien (monstre assoiffé de sang, dont le règne, de 81 à 96 après J.C., fut un des plus terrible de l'histoire impériale romaine), inscrite sur les véhicules de l’autorité (Urban Pacification Unit 2 = UPU2) est claire : « Oderint dum metuant. » « Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent. » Et Kelly nous le montre : c’est le terrorisme d’état qui entraîne le terrorisme extérieur ou intérieur, rarement l’inverse. Ici, les groupuscules d’obédience marxiste qui ont infiltré Venice (quartier de bord d’océan de LA, déjà territoire des mouvements contestataires des années 60) et tentent de piéger Frost, le sinistre candidat pantin républicain qui devrait succéder à Bush (qui apparaît dans le film, grâce à des extraits de journaux télévisés) sont, tel que nous les peint le réalisateur, de la tendance Groucho Marx. Et leur premier objectif n’est pas la lutte armée, mais de retourner contre elle les propres armes de la société du spectacle, en utilisant une caméra, un talk-show, Internet... Quand massacre il y a, c’est du côté des forces de l’ordre imposé qu’il arrive ; ce qui met par conséquent en doute l’origine exacte de l’attaque nucléaire au commencement de la 3ème Guerre mondiale... Les élections elles-mêmes sont ce qu’elles sont déjà depuis des années (pour ne pas dire des décennies) aux USA : des shows... Et les politiques sont des gens du spectacle (voir Ronald Reagan, Schwarzenegger, etc.), ou des gens du spectacle liés au monde de la pègre (Sinatra)... Kelly présente son futur à partir de notre présent, un présent que nous ne savons pas regarder parce qu’il est devenu trop multiple...

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SOUTHLAND TALES est un film sur un monde renfermé sur lui-même, schizophrène et paranoïaque... [ « Tu n’as jamais l’impression qu’il y a un millier de personnes enfermées en toi ? », demande Boxer Santaros à Roland / Ronald Taverner]. Un monde qui ressemble terriblement au nôtre, à l’image de notre présent, surabondant en informations, en contradictions, en aberrations...

C’est aussi, comme ces écrans multiples (devant lesquels trône Nana Mae Frost) ou (comme on le voit tous les jours dans les infos à l’américaine sur la plupart de nos chaînes de télévision) des infos en déroulants sous les infos principales.

Ce que propose Richard Kelly, c’est d’être très attentif à ce qui nous entoure (et à son cinéma, à son film, donc...), d’y revenir plusieurs fois, ....ainsi qu’il nous faut le faire pour comprendre, pour pouvoir vivre dans notre monde autrement qu’au bord du gouffre (cette sensation que le film donne, de par son scénario et sa mise en scène protéiforme).

Et pour dénoncer la surenchère d’images hypnotiques que diffusent la multitude d’écrans qui squattent nos existences et vampirise nos énergies, dilue à l’extrême notre attention.... il en abuse à son tour ; un abus tout aussi déstabilisant, qui rend difficile d’accès son propos, du moins dans la première partie du film. D'une certaine manière il nous balance son film comme un reflet à peine déformé de nos vies captées par un environnement manipulateur... au point qu’en plus de ses spectateurs citoyens du monde les manipulateurs en sont les victimes (voir juste l’exemple de Bush et des soient disantes « arme de destruction massives » de Saddam Hussein affirmées par les rapports de la CIA). Le cinéma comme lieu de réflexion... dans tous les sens du terme ! A la question « Quel était le challenge sur ce film ? », lors d’une interview cannoise (interview présente dans les bonus du DVD), Richard Kelly répond : « C’est un film intuitif. Tant de films et d’histoires, aujourd'hui, sont si prévisibles. [...] Je pense que pour raconter des histoires, des histoires cinématographiques, il faut continuer à surprendre le public, et créer des choses qui peuvent être perçues comme étant confuses, mais que moi-même, je considère comme du suspense. En me disant que ce n’est pas grave de dérouter les gens. Car votre cerveau essai de digérer les images qu’il reçoit. Et je pense que ça, c’est une bonne chose. J’aime les films qui exigent du public qu’il s’implique et fasse l’effort d’essayer de comprendre ce qu’il voit. Des films qui offrent des défis. Plutôt que des films qui ne demandent aucun effort. Je veux faire des films qui exigent du public qu’il s’implique dans le processus. »

Les titres (chez les réalisateurs qui ont quelque chose à dire) ont un sens. Que nous dit Richard Kelly du sien ? "Southland est un terme d’argot des medias de Los Angeles pour designer la Californie du Sud. Il y à là déjà une connotation satirique. Comme avec les « Contes de Canterbury ». Quelque chose qui plonge dans l’imaginaire collectif. Un récit futuriste et politique."

Avant de laisser la conclusion à Richard Kelly, je ne résiste pas à citer une de ses quelques belles tirades assassines : [12’ 40’’] Krystal disant à Fortuno : "On est une nation bisexuelle qui vit dans le déni ! Tout ça à cause d’une bande de ringards qui ont débarqué d’un bateau au XVème siècle et qui on décrété que le sexe était une affaire honteuse ! Tout ce qu’on fait les Pèlerins c’est brider la sexualité des Indiens !"

Le message

Question (voir bonus DVD déjà cité) : "Le film est-il porteur d’un message ?" Réponse de Richard Kelly : "Je crois que le message c’est qu’il faut affronter ses propres démons intérieurs. Je crois que tout être humain lutte, tous les jours, en se regardant dans la glace, contre lui-même, contre ses propres dysfonctionnements. Et les dysfonctionnements d’un être peuvent s’appliquer à une communauté, et peut-être même à toute une nation. Je ne veux pas avoir l’air d’être « New-Age », ou d’un gourou de l’estime de soi, mais tout part de l’individu, de soi-même. Je pense que si l’on essai de tout ramener à un seul concept, c’est celui-ci. C’est pourquoi le film se conclu simplement sur l’idée du pardon. Du pardon de soi. Et sur l’amitié. Sur le fait de pardonner à un ami une faute [ « a mistake » en VO] qu’il ne voulait pas commettre. Une faute certes tragique, mais non intentionnelle."

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Et encore, lors de la conférence de presse à Cannes : "Le film propose tout un canevas d’idées, qui sont toutes liées aux enjeux mondiaux actuels : la sécurité, les énergies alternatives [voir les dégâts sur les forêts primaires dus aujourd'hui aux bio carburants !]. Notre obsession croissante de la célébrité [penser à la célèbre phrase d’Andy Warhol : «A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale.» ]. Et comment la célébrité est mêlée avec la politique, comment des liens étroits finissent par les unir. Je pense qu’on voit aujourd'hui à quel point tout s’imbrique [voir Schwarzenegger]. Le personnage de Sarah dit dans le film ; « Cela devait arriver ». Et les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne sont pas simples. Le film doit être pris comme un puzzle. Il aborde ces problèmes sur le ton d’une comédie macabre. C’était l’intention de départ. Et je crois que c’est un film qu’il faut voir plusieurs fois pour bien saisir toute la complexité du puzzle. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas de solution simple à nos problèmes nationaux ou planétaires. [...] Au bout du compte, j’espère qu’on le verra comme un film optimiste, avec une conclusion optimiste, car sur le torse de Dwayne, on peut voir un tatouage, fait par le maquilleur Louis Lazzara, de toutes les religions du monde. Et à droite on peut lire une phrase sur la voie de l’apaisement. Et cela définit très bien le film. Nous avons découvert les moyens de détruire notre monde en un éclair, et je crois qu’il faut en finir avec tous ces maux..."

Le torse tatoué de Boxer Santaros ! Rien que là s’ouvre une nouvelle lecture, la ligne religieuse... Très riche de réflexions (et bien développées). Les aspects politiques et religieux sont en fait les deux pôles principaux de ce film... de SF particulièrement intelligent. Mais ce sera pour cette suite annoncée en ouverture de mes commentaires ! Les pistes ici aussi sont légion ! « Le film doit être pris comme un puzzle. » Il faut que je le revoie encore deux ou trois fois... Tenez, c’est ce que je vais faire de suite ! Pardon donc de m’arrêter si abruptement, c’est pour un « à suivre », comme dans les bonnes BD !

Francis Schall

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[1] Thomas Stearns Eliot, La Terre vaine et autres poèmes, Éditions du Seuil, Collection Points Poésie, 2006. Traduction de Pierre Leyris.

[2] Une vérité qui dérange (An Inconvenient Truth) de Davis Guggenheim. Ce film documentaire américain, traitant du changement climatique, a été présenté à Cannes en 2006, comme Southland Tales. Al Gore, ancien vice-président des États-Unis, prix Nobel de la paix 2007, y tient le premier rôle.

[3] Le mot « apocalypse » signifie « révélation ». Avec le genre apocalyptique, nous sommes dans le prolongement du genre prophétique. Ces prophéties qui sont aussi un thème –-à traiter par ailleurs (à suivre !)-- important de Southland tales. -- Il est autre chose à noter, sans doute anecdotique, mais que quelques recherches, et mon goût pour les jeux de mots, m’ont permis de découvrir... Prenons l’abréviation du nom de la police de Southland : « Urban Pacification Unit 2 » = UPU2 ; 2 qui, prononcé, fait two... tu. Or, en Croate, uputu veut dire « instruction », ou « révélation ». La révélation, ou la prophétie de la Force... Souvenons nous des jeux de mots de George Lucas...

[4] L'uchronie est une fiction (souvent sujet de SF) qui réécrit l’Histoire, la plus part du temps à partir de la modification d’un événement du passé. Par exemple, « Et si Napoléon avait gagné à Waterloo... » La dystopie est un récit de fiction, ou de science-fiction, s'opposant à l'utopie. C’est une utopie négative.