La chair du Diable

(The Creeping Flesh)

 L'histoire

Emmanuel Hildern accueille un nouvel assistant pour l'aider dans ses recherches. Mais auparavant, il doit lui expliquer la nature de celles-ci... Retour trois années auparavant : 1893 - Après une longue expédition en Nouvelle Guinée, Hildern revient en Angleterre, auprès de sa fille Pénélope. Il a dans ses bagages un squelette géant de ce qui pourrait être une preuve de l'existence d'une race intelligente ayant existé antérieurement à Neandertal et dont la capacité crânienne est bien plus importante. Ceci bouleverserait toutes les idées sur l’évolution…

Au moment de nettoyer sa trouvaille le contact de l’eau sur les os d’un doigt y fait apparaître de la chair. Hildern coupe ce doigt et plus tard en extrait une substance censée être la forme pure du Mal, son essence même. En effet, il est persuadé depuis longtemps que le Mal est à considérer de manière scientifique et non pas superstitieuse, ou religieuse. Comme un virus. A partir de son extrait, il prépare un anti-virus… Car il rêve de débarrasser l’humanité du Mal, et de sa plus célèbre projection : le Diable.

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Il a pourtant un autre objectif, plus personnel. Emmanuel vient d’apprendre que sa femme, qu’il a du faire interner bien des années plus tôt –en expliquant à sa fille, enfant alors, qu’elle était morte- est finalement décédée. Il est obsédé par l’idée que Pénélope puisse avoir héritée de la fragilité mentale de sa mère, et lui défend l’accès de l’ancienne chambre de celle-ci, qu’il se conserve comme mausolée. Or Pénélope, intriguée, obsédée par cet interdit et les dissimulations de son père, force un jour la porte prohibée. Ce qu’elle y découvre la fait entrer dans une transe dangereuse. Convaincu que la folie a un lien direct avec le Mal, Emmanuel Hildern lui inocule l’antivirus qu’il pense avoir découvert….

Parallèlement, il a rendu visite à son frère James, célèbre aliéniste, directeur d’un asile réputé, où sa défunte épouse était enfermée. Les retrouvailles sont plutôt fraîches : les deux frères, à travers leurs travaux scientifiques respectifs (James sur les origines de la folie, Emmanuel sur celle du Mal), sont en concurrence pour un prestigieux prix scientifique.

De l’asile s’est échappé un fou dangereux. Et Pénélope en fait autant de sa chambre où l’avait cloîtré son père, descend dans la rue, vers un monde qu’elle ignore…

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Le petit mot de Francis SCHALL

Voici un film fort peu connu et pourtant remarquable ! Et encore un titre (en particulier français) qui le ferait prendre pour un sujet tenant du fantastique. Erreur, nous avons bien à faire ici à deux scientifiques rivaux (et frères) et à leurs expériences, dans de superbes laboratoires reconstitués à la manière de la fin du XIXème… (L’action se déroule entre 1893 et 1897). Même si le ton et l’ambiance générale sont ceux du cinéma dit d’ « horreur » le thème principal est bien de la science-fiction, et de la meilleure…

L’histoire est d’une grande originalité : le Mal, et par là accessoirement le Diable du titre français, considérés sous un aspect scientifique. Le Mal peut-être expérimentalement isolé en tant que virus et il serait possible de lui trouver un vaccin. Il se trouve là également une profonde réflexion philosophique (comme dans "Frankenstein ou le Prométhée moderne" de Mary Shelley - 1818 ; et ainsi que dans les plus importants films de SF). Le scénario, qui mêle plusieurs développements est particulièrement complexe (les origines et la nature du mal, les origines de l’homme, celles de la folie, le passé d’Emmanuel Hildern [Peter Cushing] et de sa femme, ainsi que le rapport père et fille, la rivalité entre les deux frères, et bien sûr le squelette découvert), mais la fin réunit les diverses pistes sans en oublier aucunes (ce qui n’est pas toujours le cas dans certains films de genre…). La chute du film est particulièrement inattendue, qui renvoie à un film phare de l’Histoire du 7ème Art et du cinéma fantastique : LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI de Robert Wiene (1920). Excusez du peu !!

Il y a de tout dans LA CHAIR DU DIABLE. On pense évidemment au Docteur Frankenstein précédemment cité (mais tous les savants un peu exaltés sont inévitablement ses héritiers !) ; et au Docteur Jekyll, par Pénélope interposée. On mettra aussi avec intérêt en parallèle le sujet de LES MONSTRES DE L'ESPACE (1967), même si celui-ci évoque une origine extraterrestre à l’humanité : les réflexions sur le Mal à partir de la découverte d’un ancêtre sulfureux et qui remettent toutes les convictions de l’humanité en question se croise à travers ces deux réalisations. Les dialogues étant d’importance et travaillés, il est préférable d’aborder le film en VO stf (ceux-ci étant plutôt fidèles).

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La mise en scène est fluide, inventive, sans effets de surenchère et collant parfaitement à l’ambiance victorienne. Le montage est rigoureux, ce qui est fondamental dans une histoire à multiples points de vus.

Les costumes et les décors sont particulièrement soignés, mis en valeur par la photographie de Norman Warwick (et les couleurs en Eastmancolor). Souvenons nous de son travail remarquable pour THEY CAME FROM BEYOND SPACE (1967), Dr JECKYLL ET SISTER HYDE (1971), L'ABOMINABLE DOCTEUR PHIBES (1971), HISTOIRES D'OUTRE-TOMBE (1972), LE DOCTEUR ET LES ASSASSINS (1985) et de quatre épisodes de la série Hammer HOUSE OF HORROR (1980).

Mise en scène, photo (travaillée dans une atmosphère en demi-teintes), maquillage soigné, des effets spéciaux de belle tenue (dont ceux du squelette, très réussi) tout ceci est dû en particulier aux talents divers et remarquables de Freddie Francis, a qui on doit également LA REVOLTE DES TRIFFIDES (co-réalisateur Steve Sekely 1962), L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN (1963), parmi vingt-cinq longs métrages de genre (science-fiction, épouvante, policier…). Le tournage s'est déroulé aux studios de Shepperton et en extérieurs.

La musique, originale et plaisante (de Paul Ferris, compositeur, chef d'orchestre, et aussi à l'occasion acteur !), est pour une fois nullement envahissante ; ainsi, une bande sonore qui laisse des moments de silences bien plus inquiétants que les surenchères musicales souvent propres à ce genre de film…

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La Tigon Pictures (1968-1973) produit là son dernier film. C’était une des nombreuses compagnies anglaises nées à la suite des succès de la Hammer Films. Et une des meilleures spécialisées dans la grande tradition du film d’horreur britannique, quoiqu’elle n’ait produit que huit films au total (dont LE GRAND INQUISITEUR – 1968 et LA NUIT DU MALEFICE - 1971).

Voici donc encore un important film de science-fiction britannique, même s’il est présenté sous les habits de l’épouvante. Un bijou sombre indispensable pour les vrais amateurs de science fiction… victorienne !