King Kong

(King Kong)

 L'histoire

Le "Patrox Explorer", navire de la puissante compagnie de recherche et d'exploitation pétrolière Petrox, appareille de Surabaya en Indonésie. A sa tête Fred Wilson met le cap sur une île inconnue, de tout temps camouflée par une perpétuelle et gigantesque masse nuageuse. La composition du brouillard qui masque cette terre laisse à penser qu'elle pourrait renfermer en ses tréfonds le plus gros gisement pétrolier jamais exploité. Jack Prescott, un jeune paléontologue embarqué clandestinement, réfute l'hypothèse et voit plutôt en l'excès de CO2 la marque d'une origine animale. D'anciens navigateurs auraient en effet rapporté la présence sur l'île du crâne d'une bête monstrueuse.

En route, l'expédition aborde le canot d'une naufragée. Cette belle jeune femme répondant au nom de Dwan faisait route vers Hong Kong où elle devait tourner son premier film quand une violente tempête fit sombrer son navire. Ainsi complétée de deux membres inattendus, le Patrox Explorer perce l'épais brouillard qui mène à l'ile paradisiaque et découvre une tribu indigène qui se livre à un curieux rite…

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Le petit mot du Doc

En 1976, le cinéma est définitivement entré dans l'ère du film catastrophe. Avec des titres forts tels AIRPORT (1970), L'AVENTURE DU POSEIDON (1972), LA TOUR INFERNALE (1974), TREMBLEMENT DE TERRE (1974) ou encore L'ODYSSEE DU HINDENBURG (1975), il y en a pour tous les goûts… ou presque ! Car finalement le fantastique - et la science-fiction moins encore – n'entrent pas dans ce type de production. L'idée d'un remake du KING KONG de 1933 de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack vient alors sur le tapis. Dès le milieu de l'année 1975, deux studios se livrent une guerre sans merci pour être le premier à faire revivre le gorille géant. La bataille juridique qui oppose la Paramount et Universal - chacun certifiant qu'il détient les droits du film de la RKO - se termine par un arrangement amiable : la Paramount peut poursuivre le projet tandis qu'Universal n'est autorisé à produire sa version que 18 mois après la sortie du film de son concurrent qui, en retour, s'engage à lui verser une partie de ses bénéfices. Universal devra patienter encore un peu…

Pour porter le projet, Paramount fait appel au producteur indépendant italien Dino De Laurentiis. Cet habitué des grosses productions a mené à terme des films comme GUERRE ET PAIX (1956), LA BIBLE (1966), BARBARELLA (1968). En 1980 il produira aussi FLASH GORDON, le remake du serial des années 30 dopé par la bande-originale du groupe de rock Queen. Pour écrire le script il fait appel à Lorenzo Semple, le scénariste de PAPILLON (1973), de quelques épisodes de la série BATMAN (1966-1968) et du thriller LES 3 JOURS DU CONDOR (1975) déjà produit par De Laurentiis. Il propose tout d'abord la direction du remake à Roman Polanski qui vient de conquérir le public avec CHINATOWN (1974). Devant le refus de ce dernier, John Guillermin, le réalisateur de LA TOUR INFERNALE, hérite de cette lourde tâche.

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Une autre tâche difficile consiste à dénicher l'actrice qui doit reprendre le mémorable rôle joué par Fay Wray en 1933. Pour revêtir la légère tenue, sont d'abord pressenties Barbara Streisand (alors la femme de Jon Peters, premier et imbuvable producteur choisi et renvoyé par la Paramount), Valerie Perrine vue dans ABATTOIR 5 (1972), Bette Midler ou encore Cher. Finalement, et c'est tout à son honneur, Dino De Laurentiis opte pour une belle inconnue qu'il va chercher dans l'agence de mannequin new-yorkaise Whilhelmina. Jessica Lange fait ainsi ses débuts au cinéma.

Plutôt que de copier le chef d'œuvre original qui situe l'action durant la grande crise des années 30, De Laurentiis pose les bases dans le présent, en 1976. Et, jusqu'à l'arrivée sur l'île de Kong, il modifie l'introduction de l'histoire. Ici point d'équipe de tournage qui débarque pour mettre en boite de la pellicule. Fred Wilson (Charles Grodin), à la solde d'un puissant groupe pétrolier, dirige une expédition destinée à découvrir de nouveaux gisements. A bord du navire qui les conduit vers l'île du crâne, un jeune paléontologue (Jeff Bridges, TRON – 1982, STARMAN - 1984) embarque clandestinement. A la suite de conditions météo exécrables, l'équipage recueille l'unique survivante d'un naufrage (Jessica Lange). Un événement qui ne détourne en rien la mission de Wilson…

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Annoncé le 17 janvier 1976 à la presse, Paramount prévoit la sortie du film pour Noël de la même année. Inutile de le dire, il y a du pain sur la planche ! Le producteur italien obtient un budget de 17 millions de dollars, une somme énorme qu'il estime digne du travail à réaliser pour concurrencer l'œuvre originale. Le script n'est pas terminé qu'une affiche publicitaire vante déjà la superproduction. Elle représente King Kong au sommet des tours jumelles du World Trade Center, cerné par des avions de chasse, écrasant l'un d'eux de la main droite et tenant la blondinette de victime dans la gauche. Le tout soutenu par la phrase suivante : "One year from today Paramount Pictures and Dino De Laurentiis will bring to you the most exciting original motion picture event of all time" (traduisons "Dans un an, Paramount Pictures et Dino de Laurentiis vous présenteront l’événement cinématographique le plus excitant de tous les temps"). Effet garanti ! Choisir le World Trade Center s'entend et s'applaudit : non seulement ce nouvel emblème de New York vient d'être inauguré (le 4 avril 1973 pour être exact), faisant de ce duo de gratte-ciel le nouveau plus haut immeuble de la mégapole1 américaine, mais il apporte également la touche de modernisme voulue. C'est une idée superbe !

Quelques autres différences notoires sont à souligner : contrairement à ce que suggère l'affiche teaser, ce ne seront pas des avions de chasse qui harcèleront King Kong au sommet du World Trade Center, mais des hélicoptères. Ils permettront sans doute au gorille d'être plus combatif et aux producteurs une mise en œuvre plus aisée. Plus regrettable, le film de John Guillermin oublie purement et simplement de montrer les dinosaures attendus. King Kong combattra seulement un python géant (mécanique et plutôt moche) qui souhaitait faire de la nouvelle petite amie du gorille un rapide encas. Un clin d'œil tout de même à noter : la façon dont Kong tuera le reptile en lui déchirant la mâchoire et en s'en assurant, ce qu'avait fait l'animateur Willis O'Brien dans le combat qui opposait Kong au dinosaure du film de 1933. Enfin, Dino De Laurentiis trouvant l'animation image par image trop saccadée, décide d'employer un acteur en costume pour figurer Kong. Il veut un gorille "aussi humain que possible" ! Un choix discutable. Si le film gagne en fluidité, l'homme dans le costume se devine trop souvent…

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Rick Baker est engagé pour concevoir le costume de Kong, et il décide de le porter. Les singes, il connait. Ce spécialiste de maquillages d'effets spéciaux engagé l'année suivante sur LA GUERRE DES ÉTOILES a déjà confectionné de nombreux habits de primates, à commencer par celui de SCHLOCK (1973) de John Landis. Son travail sera plus tard salué sur BIGFOOT ET LES HENDERSON (1987), GREYSTOKE, LA LEGENDE DE TARZAN (1984), GORILLES DANS LA BRUME (1988) et MON AMI JOE (1998). Il explique : "Je détestais le scénario. J'ai une passion pour les gorilles et tourner dans ce film me mettait dans une position fausse vis-à-vis de moi-même car la vision que le film donne de gorilles ne correspond pas à la réalité. […] De plus on m'a demandé de jouer King Kong en essayant de le faire ressembler le plus possible à un être humain. Or, si je n'avais écouté que moi, j'aurais simplement imité un vrai singe. Je me serais alors déplacé à quatre pattes en tentant d'adopter la démarche d'un gorille."

Carlo Rambaldi vient spécialement d'Italie pour le projet. Il travaille sur le visage de Kong et l'année suivante sur les extra-terrestres de RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE. Il sera, 5 ans plus tard, le responsable de la créature extra-terrestre la plus célèbre de l'histoire du cinéma, E.T. d'ET - L'EXTRA-TERRESTRE, deux films majeurs de Steven Spielberg.

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C'est d'ailleurs sur l'île hawaïenne de Kauaï, où Steven Spielberg tournera JURASSIC PARK en 1993, que sont prévues les scènes en extérieur pour présenter la terre de Kong. Mais une météo peu clémente retarde le tournage. Un tournage qui n'en finit pas d'enchaîner désagréments et déconvenues. Pour l'anecdote, la tension palpable entre techniciens italiens et anglais qui ont du mal à se comprendre et qui travaillent sans concertation, fait que deux mains droites du gorille sont fabriquées. La construction de la muraille coûte 800.000 dollars portant le budget à 20 millions. La production frôle l'arrêt. Après maintes péripéties, en avril 1976, la main articulée qui donne tant de fil à retordre fonctionne enfin.

Le film sort en temps et en heure, le 17 décembre 1976. C'est un franc succès commercial et critique. Il aura finalement coûté 24 millions de dollars et en rapportera 90. KING KONG remporte un Oscar pour ses effets spéciaux (bien que moyens, mais la véritable révolution des FX viendra seulement l'année suivante avec LA GUERRE DES ÉTOILES) et Jessica Lange remporte le Golden Globe de la meilleure jeune actrice… pas mal pour un premier film ! Malgré ce succès fulgurant, elle ne retrouvera pas de rôle de prime importance avant le torride LE FACTEUR SONNE TOUJOURS 2 FOIS (1981) face à Jack Nicholson. Durant sa carrière elle remportera deux Oscars : celui du meilleur second rôle pour TOOTSIE (1982) au côté de Dustin Hoffman, et celui de la meilleure actrice pour le drame romantique BLUE SKY en 1995.

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10 ans plus tard, Dino De Laurentiis se fendra d'une suite directe également dirigée par John Guillermin, KING KONG 2, dans lequel on découvrira que Kong n'a pas succombé à sa chute des tours jumelles. Le film, purement commercial, est artistiquement bien loin du charme de ce remake. On dit même que c'est le plus mauvais des films de King Kong ! Quant à Universal, le studio patientera et patientera encore pour produire son propre remake. L'évènement arrivera enfin après 30 ans d'attente, sous la caméra de Peter Jackson qui offrira un véritable hommage au film de Merian C. Cooper et d'Ernest B. Schoedsack.

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1Avec ses 417 mètres de haut, la tour nord du World Trade Center était plus haute de 36 mètres que l'Empire State Building que gravissait le King Kong de Cooper et Schoedsack. Les tours du World Trade Center ont été détruites le 11 septembre 2011, percutées par deux avions de ligne ; un attentat ayant causé la mort de 2 750 personnes.

27 avril 2013